25 novembre 2020 (18-86.955 – FP-P+B+R+I) co-emploi et responsabilité civile société-mère – droit du travail coronavirus 

Par une décision à laquelle elle a entendu donner la plus forte publicité (P+B+R+I), la Cour de cassation a modifié les éléments constitutifs du co-emploi, dont l’abandon était en jeu au profit de la seule responsabilité civile extra-contractuelle de la société-mère.

La notion de co-emploi en déshérence au profit de la responsabilité civile extracontractuelle 

Lorsqu’une situation de co-emploi ne peut être caractérisée, la jurisprudence a permis aux salariés d’agir sur le terrain de la responsabilité civile extracontractuelle, pour obtenir des dommages et intérêts par la société mère dont les décisions, prises au détriment des intérêts de la filiale ont « concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois » (Soc, 24 mai 2018, pourvoi n°16-22.881 et s)

Cette option est évidemment restreinte par les conditions de l’article 1240 du Code civil qui exige que soit établies, la faute, le préjudice et le lien de causalité entre la perte de son emploi par le salarié d’une société-filiale, et la gestion anormale et fautive de la société-mère, qui lui est juridiquement tiers. Par ailleurs, le salarié doit engager une action distincte devant le Tribunal Judiciaire, en raison de l’incompétence du Conseil de Prud’hommes à défaut de contrat de travail existant entre le salarié et la société-mère.

En parallèle, la notion de co-emploi était quant a elle de moins en moins usitée en raison de ses conditions particulièrement strictes. Il convenait en effet d’établir les 3 critères de confusion d’intérêts, d’activités et de direction (Soc, 2 juillet 2014, pourvois n°13-15.208 et s.), de sorte « qu’il n’y a immixtion sociale qu’à condition que la direction du personnel et la gestion du personnel soient prises en main par la société mère qui ne permet plus à la filiale de se comporter comme le véritable employeur à l’égard de ses salariés« .

La Jurisprudence était particulièrement rigoriste sur la qualification du co-emploi, au point que ne suffisaient pas à établir la situation de coemploi :

  • « le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et soient en étroite collaboration avec la société dominante, que celle-ci ait apporté à sa filiale un important soutien financier et que pour le fonctionnement de la filiale aient été signées avec la société dominante une convention de trésorerie ainsi qu’une convention générale d’assistance moyennant rémunération” (notamment Soc., 7 mars 2017, pourvois n° 15-16.865) ; 
  • « la centralisation de services supports, des remontées de dividendes, des conventions de trésorerie et de compensation, des dettes non réglées à la filiale, des facturations de prestations de services partiellement sans contrepartie pour ladite filiale, la maîtrise de la facturation de celle-ci durant une période limitée dans le temps et l’octroi d’une prime exceptionnelle aux salariés de la filiale » (Soc., 9 octobre 2019, pourvois n° 17-28.150 à 17-28.174

En raison tant des critères strictes du co-emploi que de la possibilité d’agir sur le terrain de la responsabilité civile extra-contractuelle, la question de l’abandon de la technique du co-emploi s’est donc posée. 

Une redéfinition du co-emploi

Pourtant par son arrêt du 25 novembre 2020, la Haute Juridiction a entendu donner un second souffle à la technique du co-emploi, en abandonnant le triple critère de confusion d’intérêt, d’activité et de direction. Désormais, le critère déterminant du co-emploi se trouve dans la perte d’autonomie d’action de la filiale, autrement dit dans l’absence de pouvoir réel et effectif de l’employeur de mener ses affaires dans la gestion économique et sociale. Par ce critère unique, les juges sont amenés à rechercher si la société-mère agissait de façon permanente en lieu et place de sa filiale et si, sous couvert d’une société juridique distincte, elle s’immisçait de manière anormale dans la gestion économique et sociale de l’entreprise employeur.

Si la Haute Juridiction entend réaffirmer la notion du co-emploi, et en assouplir quelques peu les critères, sa caractérisation n’en sera pas pour moins délicate. Dans l’arrêt du 25 novembre 2020, la chambre sociale a en effet censuré la Cour d’appel d’avoir retenu qu’il existait une situation de coemploi caractérisée par la gestion des ressources humaines au moment de la cessation de l’activité, le financement de la procédure de licenciement économique, des conventions de trésorerie et d’assistance moyennant rémunération, la prise de décisions commerciales et sociales dans l’exercice de la présidence de la société et des reprises d’actifs dans des conditions désavantageuses pour la filiale.

Un enjeu de taille sur la qualification du co-emploi 

Si l’abandon même du co-emploi au profit de la seule responsabilité extracontractuelle était envisagé, il faut toutefois rappeler que ces deux techniques juridiques n’emportent pas les mêmes conséquences, loin s’en faut. La recherche de la responsabilité civile extracontractuelle justifie l’allocation de dommages et intérêts par la société-mère qui, par sa faute, a causé au salarié de la filiale, la perte de son emploi. A contrario, la qualification de co-emploi, si elle impute également les conséquences indemnitaires de la perte d’emploi sur la société-mère, lui impute l’ensemble des obligations légales d’un employeur à une seconde société. La société-mère est considérée comme l’employeur du salarié et est de ce fait tenue envers lui aux obligations qui s’imposent à tout employeur.

Par ailleurs, la voie du co-emploi permet au salarié de concentrer son action devant le Conseil de Prud’hommes, tant à l’encontre de son employeur – société filiale, que de la société-mère, dont il est justement question de reconnaître la qualité de coemployeur.

Dès lors, non seulement la notion de coemploi est loin d’avoir disparue, mais son intérêt propre demeure très important.

Notre Cabinet vous conseille et vous accompagne en ce sens.

preuves illicites au Conseil de Prud’hommes

M