Soc, 25 novembre 2020 (17-19.523) – preuves illicites au Conseil de Prud’hommes
Très peu de temps après la décision du 30 septembre 2020 concernant l’utilisation par l’employeur d’une capture d’écran du compte Facebook privé d’un salarié (notre article vie privée du salarié), une nouvelle décision vient assouplir le régime de la preuve pouvant être produite dans le cadre d’un procès devant le Conseil de Prud’hommes.
La preuve est libre mais doit, en principe, être licite devant le Conseil de Prud’hommes
En droit civil et notamment dans le procès prud’homal, la preuve est libre. Toutefois, elle ne peut en principe être obtenue de manière déloyale ou illicite. Ce principe est opposé à celui du procès pénal où les particuliers peuvent produire tout élément de preuve, même celles qu’ils auraient recueillies par des pratiques ou stratagèmes illicites ou déloyaux.
Ce principe a été affirmé et réaffirmé à de multiples reprises par la Justice, puisqu’étaient rejetés des débats, et donc considérés comme inexistants :
- les enregistrements de conversations téléphoniques, ou des propos tenus en privées ;
- les enregistrements au moyen de caméras, du comportement ou d’images à l’insu de la personne intéressée ;
- les constats d’huissiers réalisés alors que ce dernier ne révélait pas son statut ;
- les fichiers informatiques du salarié, que celui-ci a identifié comme « personnels », bien qu’ils soient présents sur son ordinateur professionnel.
C’est à la fois le principe de la loyauté et le respect de la vie privée qui justifie ce régime particulier.
En application de cette règle, la Justice prud’homale a refusé que l’employeur puisse produire aux débats, des éléments de preuve recueillis aux moyens de dispositifs de contrôles individuels, lorsque ces derniers étaient irrégulièrement mis en place, ou utilisés au mépris de leur objet. En effet, ces dispositifs de contrôle doivent être préalablement déclarés à la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), indiquer l’objet pour lesquels ils sont installés, et faire l’objet d’une information aux salariés concernés.
La conséquence de l’irrecevabilité d’un élément de preuve peut être essentielle : si celui qui l’utilise ne peut prouver autrement ce qu’il prétend, il ne pourra en toute logique l’emporter devant la Justice.
La preuve illicite peut désormais être produite devant le Conseil de Prud’hommes
Avec l’arrêt du 25 novembre 2020, la chambre sociale admet que l’illicéité d’un tel moyen de preuve n’entraîne pas systématiquement son rejet. Elle invite les juges à rechercher dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité, si l’atteinte qui est portée à la vie personnelle du salarié par une production est justifiée au regard du droit à la preuve de l’employeur. Contrepartie de cet assouplissement, la production d’une telle preuve doit désormais être indispensable et non plus seulement nécessaire à l’exercice de ce droit. Auparavant, il avait déjà admis que le droit à la preuve puisse justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle du salarié à condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203, Bull. 2016, V, n° 209).
Le présent arrêt s’inspire également des décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme au regard des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment des arrêts Barbulescu (CEDH, 5 septembre 2017, n° 61496/08) et Lopez Ribalda (CEDH, 17 octobre 2019, n° 1874/13 et 8567/13) qui ont admis, sur le fondement du droit au procès équitable et du droit à la preuve qui en découle, des moyens de preuve obtenus au détriment du droit à la vie privée instituée par l’article 8 de la convention ou en violation du droit interne.
Conclusion
Si les décisions récentes de la Cour de cassation assouplissent la possibilité, pour le salarié et pour l’employeur, de se défendre devant le Conseil de Prud’hommes, en produisant des preuves illicites, le principe reste celui de l’irrecevabilité de ces preuves, dès lors qu’il n’est pas établi que l’atteinte portée à la vie privée et personnelle était nécessaire et proportionnée au droit de se défendre. Restez prudent : l’enregistrement, la captation d’images ou de paroles sans le consentement de l’intéressé, peut constituer une infraction pénale lourdement sanctionnée.
Il s’agit donc d’être d’autant plus vigilant dans sa défense, pour adopter la meilleure stratégie pour se défendre, sans se mettre en violation avec la loi. Notre Cabinet vous conseille et vous accompagne en ce sens.
preuves illicites au Conseil de Prud’hommes
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